Comment des personnes ayant été confrontées à des situations particulièrement difficiles ont réussi à préserver suffisamment de ressources intérieures pour ne pas être détruites par ce qu’elles ont vécues ?

Il y a la Résilience : comment je résiste à l’épreuve ? La résilience est un concept mis en lumière par B Cyrulnik, faculté, qu’ont tous les êtres vivants, à surmonter les épreuves et à renaître de leurs souffrances.

Il y a aussi d’autres aspects comme ceux proposés par la Salutogénèse : comment j’entretiens un bien être et une santé au travers des circonstances de la vie, en partie confortables et en partie inconfortables, certaines bénéfiques, certaines problématiques. Ce concept développé par le sociologue médical Aaron Antonovsky est la capacité des personnes à gérer des problèmes, à réfléchir aux ressources qui sont à leur disposition, aux actions qu’elles sont capables d’entreprendre pour pouvoir les résoudre avec succès de manière saine et aux techniques qui permettent d’éviter les situations stressantes.

Le sentiment de cohérence

Face aux contradictions extérieures (absurdités des récits, mensonges, manipulations, …) et intérieures (conflits pouvant exister entre les différents niveaux identitaires, chacun répondant à des critères différents de priorités et de finalités), comment garder un certain « alignement » et équilibre ?

Quelquefois la complexité et la diversité internes sont très difficiles à vivre. A d’autres moments, ces conflits internes pourront être vécus de manière assez harmonieuse…grâce au sentiment de cohérence.

Ce sentiment de cohérence est central quand il s’agit de préserver notre intégrité mentale, psychique et physique, dans des circonstances difficiles.Il repose sur 3 piliers :

  •  l’intelligibilité : comment pouvoir lire le réel avec suffisamment de pertinence et d’accuïté pour que ce soit un point d’appui, y compris face à des situations violentes ou incohérentes. Mieux comprendre aide à mieux vivre les incohérences, même lorsqu’elle sont présentées sous forme de « pensée magique ».
  • la question du sens et des valeurs : comment regarder ce que provoque chez moi ce que j’observe, au niveau de mes valeurs. L’indignation par exemple intervient quand certaines de mes valeurs sont heurtées. Si  je prend du recul, je met de la réflexivité sur ce que je ressens, je vais « toucher » la valeur fondamentale qui est touchée. Sachant que toute émotion m’indique si un besoin est satisfait = positif (joie, plaisir, enthousiasme ) ou insatisfait = négatif (tristesse, colère.frustration), prendre une inspiration profonde et laisser venir me renseignera sur mes valeurs, qui pourront alors contribuer à me « revivifier ».
  • le pouvoir d’agir : cela peut aussi être ne rien dire ou ne rien faire mais le plus important est de le faire « en conscience ». Il est bon que ce que je décide de faire soit en lien avec mes valeurs.

Qu’est ce qui nous fait « perdre pied » ?

Lorsque nous sommes confrontés à une hyper réalité (réf : Baudrillard & Umberto Eco), c’est à dire un moment où une idéologie sur le réel devient tellement prégnante de l’imaginaire collectif que nous finissons par agir sous influence de croyances, et en ayant perdu tout contact avec la réalité. Cela a t il été le cas pendant cette période, dont nous ne sommes pas complètement sortis ? Sans doute que oui et que nous vivons encore aujourd’hui un de ces moments sidérants et singuliers, marqué par l’hystérisation des positions d’une part, et la sidération psychique d’autre part.

Nous avons assisté à une difficulté à penser, laissant la place à de « l’impensé ». Rappelons que le fait de ne pas penser le réel ne le supprime pas, il travaille autrement. L’impensé a permis l’impensable, voire l’interdiction de penser, largement provoqué par cette perte de relation au réel et l’absence de dialogue.Et par dialogue, il faut entendre un véritable échange où je reconnais l’autre comme un interlocuteur valable, même si il n’est pas d’accord avec moi, où je vais l’écouter et laisser ses arguments m’influencer peut être, me permettant ainsi de voir certaines choses d’une manière qui échappe à ma propre manière de les regarder. Au lieu de cela, nous avons été témoins d’une disqualification extrêmement violente de toutes celles et ceux qui « résistaient » et n’étaient pas d’accord avec la pensée dominante…ou juste qui posaient des questions.

  •  Il s’agit alors de retrouver des repères pour faire sens, donner du sens, retrouver du sens.
  • Il s’agit de redonner leur vrai sens aux mots (maux). »Mal nommer les choses rajoute au malheur du monde A Camus.
  • Il s’agit de remettre en parole ce qui se passe autour de nous.
  • Il s’agit d‘être capable de reprendre son souffle pour continuer à cheminer, tant bien que mal, au travers des difficultés…pour essayer de comprendre le monde.
  • Il s’agit de sortir de la polarisation des points de vue et de recommencer à penser et à dialoguer.

Comment se relever ou rester debout ?

Expérience étonnante, enrichissante mais attristante! Car aucun milieu (professionnel, familial, amical), aucun métier, aucune institution (même les institutions régulatrices pour certains métiers) n’ont été épargnés…Il faut regretter qu’il n’y ait pas eu, et il n’y a pas encore, aujourd’hui, assez d’espaces pour parler des choses, penser les choses, confronter des points de vue, entendre des objections.

Cela devrait questionner chacun d’entre nous sur notre éthique, et, a fortiori, celles et ceux d’entre nous qui avons une posture d’accompagnants (coachs, superviseurs, thérapeutes, médecins ?…).

– Si la situation me convient, je suis convaincu, je n’ai pas d’objections, alors tout est ok.

– Si je ne suis pas d’accord, mais je reste compliant pour certaines raisons, que faire ? se taire et « faire le dos rond »?

– Et si je ne suis pas du tout d’accord, alors faut il entrer en résistance, s’opposer ?…et être prêt à en assumer le coût (judiciaire, commercial, impact sur la notoriété, …)

Victor Franckl et la logothérapie (la thérapie par le sens).

Ce neurologue/psychiatre , lui même été déporté et envoyé à Auschwitz en 1944. voyait chez ses patients, bien avant la guerre, des dépressions qui étaient liées à un certain mal être par rapport à leur existence, un « désajustement » avec leur vie. Cela l’avait amené à travailler avec ses patients sur le sens qu’ils donnaient à leur existence, permettant une « satisfaction existentielle » naturelle quand ils étaient en accord avec leur vie, ou une souffrance en cas de perte de cet accord. Une fois dans le camp, il constate que les personnes qui ne s’effondrent pas, indépendamment de leur condition physique, sont celles qui ont une raison d’exister (un être cher à retrouver, une passion, un engagement, ..ou qui ont su trouver, (au sein de l’horreur) une raison unique et singulière , en elles mêmes, devenant une motivation suffisamment profonde pour (sur)vivre.

Sans faire de comparaison hasardeuse, la question qui est posée est comment, face à un environnement brutal, chaotique, une fois privé de ce qui fait humanité (le lien social?), retrouver la part de liberté intérieure qui reste envers et contre tout, comme un noyau vital, et qui va nous « vivifier » ? Une  réponse pourrait être de trouver et de protéger notre sentiment de cohérence.

Cet article a été inspiré des conférences de Jean Dominique Michel (Anthropologue de la Santé – https://www.jdmichel.com/)