Sur la route de l’oubli et de la conformité, nous avons fini par abandonner notre rôle actif de membres de sociétés organisées. Ils nous ont changé les règles du jeu et nous continuons à jouer sans connaître les astuces de l’adversaire, car nous ne savons pas non plus qui il est. Comme le crabe, nous cherchons un refuge précaire dans l’oubli. Et, comme le crabe, nous nous croyons immunisés contre l’œil exercé des prédateurs qui nous entourent.

Nous sommes exposés aux effets du passé chaque fois que nous essayons de l’oublier. 

LE CERVEAU HUMAIN POSSÈDE UN MÉCANISME DE DÉFENSE CAPABLE D’ÉLIMINER LE SOUVENIR DE LA DOULEUR

Au fil des années, les événements les plus décisifs de l’histoire de l’humanité prennent la teinte sépia des vieilles photographies. Ils se transforment peu à peu en légendes ou, dans le meilleur des cas, en événements isolés dépouillés de leur impact sur la réalité actuelle. C’est ainsi qu’ils sont enseignés dans les cours d’histoire, peut-être dans le but de les isoler dans une bulle temporelle pour stériliser leur importance.

À mesure que les sociétés avancent, pressées par les défis de la survie, leurs moments de douleur et de perte sont laissés derrière elles dans une brume propice à l’oubli, lequel comporte le risque énorme de répéter le cycle encore et encore, en abandonnant, en cours de route, les rêves et les ambitions de créer des sociétés plus justes et plus humaines. C’est la culture de l’oubli, une maladie collective qui, tel un virus maudit, nous a conditionnés à laisser derrière nous les leçons les plus précieuses.

L’une des conséquences de ce phénomène collectif est la résurgence de mouvements marqués par une extrême violence, où l’Homme se retrouve à « chasser » l’Homme.

Il s’agit d’un exercice de pouvoir et de perversion dont le germe semblerait être présent au cœur même de l’espèce humaine, comme en témoignent d’autres chasses, perpétrées selon des règles qui segmentent les communautés entre ceux qui ont le droit de vivre et ceux qui doivent être exterminés.

Un processus similaire se produit face à l’épuisement des ressources, à la destruction des écosystèmes et à l’indifférence mortelle de ceux qui ont le pouvoir d’intervenir pour changer le cours des événements. Les communautés humaines – qui font partie du problème et aussi de la solution – observent seulement, avec scepticisme et conformisme comment leur monde se détruit. Les preuves de l’extinction des espèces, conséquence de la soif de richesse et de pouvoir, vont de pair avec les images de civils – transformés en « dommages collatéraux » au milieu d’attaques guerrières d’une énorme ampleur – dont le seul but est le contrôle économique et géopolitique de ceux qui détiennent le pouvoir.

Les mécanismes d’élimination de la mémoire s’activent dès que la réalité commence à s’immiscer dans notre petit monde quotidien et à perturber notre conscience, un moyen de chasser de notre esprit quelque chose que nous n’avons aucun moyen d’influencer ; c’est le mécanisme du crabe qui cherche une coquille vide sur la plage pour se cacher de ses prédateurs et poursuivre sa vie. Le problème est que nous n’avons aucun abri pour nous protéger de la destruction de ce sur quoi nous avons fondé notre confiance. Parmi eux, l’idée épurée et abstraite de la signification de la démocratie.

Nous sommes exposés aux effets du passé chaque fois que nous essayons de l’oublier.

 

Source Article Pressenza 12.05.22 – Cuenca- Equateur – Carolina Vásquez Araya